Psychose de la vieillesse (2)
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Les «vieux» : abandonnés en Occident, respectés en Afrique
Elodie et Diane sont deux françaises, stagiaires au Quotidien. Choquées, honteuses devant lindifférence avec laquelle leur société laisse mourir des milliers de personnes âgées en cette terrible période de canicule. Agonisants, seuls dans leur appartement, oubliés par leurs enfants
Lindifférence avec laquelle sont traités ces vieillards contraste avec le respect que lon a en Afrique pour les «ancêtres».
En Occident, nous traitons nos «vieux» de façon effroyable. La vieillesse est taboue, car elle nous rappelle notre propre finitude et la fragilité de notre société de consommation. Commence alors un long combat pour lutter contre les effets ravageurs du temps. En Afrique, au contraire, cest avec attention que lon écoute la voix de ces sages. En Occident, lobsession de la jeunesse et le culte du corps sont excessifs. On traque les premiers signes de vieillesse avec angoisse. Crèmes anti-rides, masques raffermissant, chasse aux vergetures font le bonheur des marques de cosmétiques. On se pique au Botox pour ne pas être ridé.
RESTER JEUNE A TOUT PRIX
Le Botox ? cest une injection anesthésiante qui paralyse les muscles du visage. Le muscle atrophié fait disparaître toute expression. Plus de pattes doie, ni de rides autour de la bouche, ou de pli entre les sourcils
Exit les rides, visage momifié, plus dexpression. On martyrise donc son corps, on lempêche de vieillir. Salle de sport, régime draconien, crème anti-cellulite, chirurgie esthétique. Peur de vieillir, on se tire la peau
un petit lifting et «hop» on perd 10 années dun seul coup. On se fait liposuccer la culotte de cheval, remodeler le visage, on sachète des seins en silicone. Mêmes les hommes sy mettent : implantation de faux pectoraux et abdominaux, greffe des cheveux(le drame de la calvitie !). La crainte du cheveu blanc est aussi dramatique que celui de la première ride. On se teint les cheveux, on se fait des balayages, mais surtout on fait disparaître ces cheveux grisonnants qui vous rappellent que le temps passe inéluctablement.
Plus tard on se drogue au Viagra et à la Dhea. Le Viagra pour la puissance sexuelle des hommes effrayés par lidée de devenir impuissants. La Dhea, auparavant interdite en France, nouvelle pilule miracle. Extrêmement onéreuse elle permet, telle la coupe du Saint Graal, la jeunesse éternelle
On ne connaît pas encore les effets secondaires de ce médicament. Mais quimporte, ici il faut rester jeune, beau, quitte à mourir dun arrêt cardiaque ; au moins on ne sera pas ridé dans son cercueil. Le drame de la vieillesse est encore plus important chez les femmes que chez les hommes.
On trouve un certain charme dans les rides des vieux monsieurs, tandis que sur une femme, cest tout de suite beaucoup moins sexy. Le look «pomme ridée» nest pas au goût de cette société encore bien machiste. Peuple névrosé faisant de la vieillesse le pire de tous les drames.
AFRIQUE : QUAND VIEILLESSE RIME AVEC SAGESSE
En Afrique, le vieux est celui que lon respecte. Il est lancêtre que lon écoute. La parole que lon boit aveuglement. Lexpérience que lon a pas encore. Le conseiller. Le sage. En Afrique, les vieux, à bien des égards, sont beaux. Ils flamboient dans leurs boubous colorés. Epanouis, souriants. Entourés de mille enfants et petits-enfants. Il règne sur la famille. Ils ne cachent pas leurs rides, ni leurs cheveux blancs. «En Afrique, un vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle.» Amadou Hampaté Bâ ne savait si bien dire. Car, le vieux cest la parole qui se perpétue. Lhistoire de la famille qui se transmet de génération en génération avec fierté. Il représente la mémoire. Il incarne le respect. Un proverbe sénégalais dit dailleurs quun vieux a toujours sa place dans la famille, la société : «Mak matt na bayi ci rew». Une vérité chère à Kocc Barma qui a incarné pendant longtemps la sagesse populaire au Sénégal. En France, le vieux nest pas respecté pour ce devoir de mémoire. Les petits-enfants sont souvent peu intéressés par les histoires de «Papy» : la guerre mondiale, la résistance
On le trouve radoteur et moralisateur. «De mon temps, les enfants étaient mieux élevés
A mon époque, on ne répondait pas à ses parents comme cela
et patati et patata
». Plus de respect pour la vieillesse, pour les parents. Problème didentité, enfants gâtés, dictat de lenfant-roi. Certains frappent même leurs parents et terrorisent leur mère. Comme disent les vieux : «Ya plus de valeurs, plus de respect.»
UNE INDIFFERENCE CRIMINELLE
En France un vieux, cest souvent encombrant. Quand ça devient sénile et quand en plus il est atteint par la maladie d«alzheimer» (maladie provoquant une perte de la mémoire irréversible), alors là, cest la catastrophe.
Quest-ce que lon va en faire ? On na pas le temps de sen occuper. Combien de temps va-t-il réussir à vivre seul dans sa grande maison ? Il ne peut plus cuisiner, il commence à pisser dans son lit. On lui paye une gouvernante qui fait le ménage trois fois par semaine, mais sil tombe par terre, personne pour le ramasser. Le plus simple, plutôt que de laccueillir à la maison (de toutes les façons, il ny a personne car tout le monde travaille), il reste la maison de retraite. Cest très onéreux. Alors, par défaut, on lenvoie dans la vieille maison de repos du coin afin quil croupisse avec ses copains denfance. Il sera maltraité par des infirmières peu consciencieuses et excédées par leurs caprices. Marre de leur torcher le
et de les entendre radoter. Marre de répéter milles fois «non Monsieur Dupont je ne suis pas votre fille
», sachant que sa fille est loin dici, quelle nest pas prête de revenir, ou si, peut-être à Noël ou pour son anniversaire.
Le vieux, lui, ne rêve que de revoir ses enfants. Il ne survit que grâce à ses souvenirs, la photo jaunie de sa femme décédée avant lui, celle de son fils en culotte courte. Il aurait aimé mourir dans sa maison. Entouré de toute sa vie, de ses souvenirs et objets, de chaque recoin qui lui rappelle quil a vécu. Mais il crèvera seul, dans cette maison de retraite, ou à lhôpital, oublié de tous
rêvant de revoir une dernière fois un regard familier avant de fermer les yeux. Mais cest le regard dune infirmière inconnue qui sera son dernier contact avec le monde des vivants. Entouré par dautres vieux aussi délaissés que lui.
Pourquoi lutter pour survivre dans ce genre de lieu ? Finir sa vie devant un poste de TV, un plateau-repas insipide sans sel ni sucre (cest pas bon pour votre diabète Monsieur Dupont). Quest ce quon en a à f
du diabète
à quoi ça sert de vivre trois jours de plus dans ces conditions. Ne faudrait-il pas mieux crever de plaisir, en jouissant des derniers bonheurs de la vie ? Mais quelle est cette société barbare qui laisse mourir ses vieux dans lindifférence ? Société déshumanisée ? Honte sur vous, enfants qui abandonnez vos parents et les laissez mourir dans une indifférence criminelle !
LA VIEILLESE, TABOU QUI NOUS RAPPELLE NOTRE FINITUDE
Quelle corvée daccompagner ses parents vers la mort
de les soutenir, de les bercer, de les laver comme ils lont fait lors de notre enfance, de les rassurer quand à «laprès», alors quon ne sait pas nous-même ce quil y a «après». En Afrique, on a la foi. On croit en Allah. On est persuadé que si lon a été un bon croyant, il y a peu à craindre. En Occident, il y a une perte de repères, de foi, et moins en moins de croyants. On refoule tout. Et puis avant de mourir, cest un peu la panique
On sest dit athée pendant toute une vie, mais finalement ce serait mieux si Dieu et les gens que lon aime nous attendaient derrière ce long tunnel illuminé.
Peur de la mort donc
Se confronter à leur vieillesse, à leur maladie, à leur finitude, cest réaliser soi-même que lon nest pas éternel. Il est plus rassurant de fuir, plus facile de refouler, plus lâche de saveugler. Cette réalité, cette confrontation directe à la mort est tout à coup trop concrète et violente. Elle nous freine dans notre course effrénée contre le temps. Elle nous extirpe de cette rassurante société de consommation. Elle nous fait réaliser que les biens matériels de cette société capitaliste napaisent, guère notre crainte de mourir. La consommation est reine. Elle fait tout oublier. Elle anesthésie nos craintes. Remplace les sentiments et la foi. Elle est concrète. Elle est jouissance de linstant présent. Réaliser que lon va mourir, cest savoir à quel point cette société de consommation et ces biens qui nous font jouir un fugace instant ne servent à rien. Poussière, illusion de richesse.
HERITAGE, CUPIDITE MALSAINE DEVANT LARGENT
La mort dune personne âgée entraîne souvent rancunes, problèmes dhéritage et disputes. Ici on ne «pardonne» pas comme en Afrique. Il y a tellement de conflits entre les familles. Après la mort du vieux, cest le lourd dilemme du testament. Derrière le corbillard, point de recueillement. Si certains meurent de chagrin, dautres, monstres cupides, parlent déjà de la répartition de larmoire Louis XIV, des petites cuillères en argent des noces du défunt, et des terrains en Touraine à se partager. Parfois, cela dégénère. Procès, avocats. On veut récupérer ce qui nous appartient
Par soucis de richesse ? Par soucis de mémoire ? Cela dépend de la sensibilité de chacun. En Afrique, il y a certes des problèmes dhéritage, mais cest exceptionnellement quon règle le contentieux au tribunal. Et la solidarité au sein des familles africaines est naturelle. Elle est leur force. Les liens qui les unissent, leur choix de vivre en communauté nient toute possibilité dexclure lun des membres de la famille. A quelques exceptions près.
SOLITUDE, TARE DUNE SOCIETE DESHUMANISEE
Dans cette abjecte société occidentale, on laisse agoniser des vieux, seuls dans leur appartement. Honte. Quand on pense au respect et à lamour que la société africaine porte à ces ancêtres. Jamais ils ne finiraient seuls dans leur studio, inconnu des voisins. Ici personne ne remarque que le vieux du troisième nest pas sorti faire son marché depuis 15 jours. Lodeur nauséabonde de la putréfaction de leur corps mort dévoré par «bibi» le caniche noyé dans ses propres excréments réveillera alors le voisin indifférent. Les pompiers défonceront la porte et tenteront de joindre ses proches. Mais personne na appelé, personne nest inquiet
On tombe alors sur le numéro de téléphone dun des fils parti en Alaska, on lappelle pour lui annoncer le drame : «De toutes les façons, on était brouillé depuis 10 ans
Cétait un vieux con.»
Des hommes et des femmes meurent donc chaque jour dans loubli. Ici la solitude est un dramatique fléau. Deux femmes de plus de 65 ans sur trois sont seules. Quatre personnes de plus de 85 ans sur cinq sont seules. Et ces statistiques ne feront que saccroître. En effet, le nombre de personnes de plus de 85 ans doublera en dix ans et en plus, les vieux seront de moins en moins pris en charge par leurs enfants
Trop débordés, manquant de temps, vivant trop loin
Société égoïste, pourrie par le dictat de léphémère. Alors on laisse mourir des milliers de personnes dans lindifférence et loubli, abandonnées par des enfants partis en vacances et des voisins renfermés dans leur petite bulle.
Pendant cette période de canicule en France, des milliers de vieux sont morts
Environ trois cents corps de personnes mortes nont toujours pas été réclamés par les familles. On tente de joindre les proches des victimes. Une quarantaine de défunts ont été inhumés dans lindifférence au cimetière parisien de Thiais, lieu où lon enterre les personnes non demandées par leurs proches et les Sdf (Ndlr : Sans domiciles fixes). Dans lattente dêtre remis à leur famille pour linhumation, des centaines de corps reposent toujours dans des morgues improvisées. Personne na pris de leurs nouvelles. Honteuse société, civilisation pourrie, obsédée par laccumulation. Tragique époque où lon croit encore être riche alors que lon est desséché de lintérieur et dune pauvreté écurante.
COURSE EFFRENEE CONTRE LE TEMPS
En Occident, on court toujours après quelque chose : un métro, un contrat, un rendez-vous
Personne ne connaît son voisin. Dailleurs, tout le monde sen f... Lindifférence est reine. Lindividualisme, notre philosophie. Ici on ne dilapide pas ses précieuses minutes dans dinterminables et redondants «Salamalékum ; Malékum salam ; na nguèn déf ? Man guifireck. Na ka wa keur gui ? Mbaa jaam ? Al hamdoullah
, et la famille ?
ça va
et la santé ?
ça va
. Et les enfants ?
.»
Ce genre de salutation serait inimaginable dans notre société. Quelle perte de temps ! En Afrique, on prend le temps de la parole et de léchange. On sinquiète de la vie de son voisin et des problèmes de santé de la femme de son cousin. On privilégie le rapport humain. Chaleur dune relation basée sur lécoute de lautre. En Occident, on baisse les yeux, on trace son chemin. On peut même se sentir agressé par un atypique «Bonjour !» venant dune voix inconnue. Paranoïaque et sceptique devant la sincérité dune telle salutation. On trouve lêtre étrange, on soupçonne un sous-entendu
«Il me drague, il veut quelque chose
» Alors évidemment, quand en Afrique on est invité à manger le thiéboudiène deux fois par jour par des inconnus dans la rue, le contraste est radical. La convivialité ? Quelle valeur étrange ! Le partage ? Un véritable mystère inconnu en Occident.
Depuis quelque temps, pour vaincre la solitude, les concierges des appartements organisent des journées de rencontres entre voisins. Une fois dans lannée, tout le monde prépare à manger et se présente. On découvre alors le visage de la personne qui vit de lautre côté de notre cloison. Manque de liens et de communication. On se fait des amis par Internet. On pleure dêtre un éternel célibataire. On meurt seul chez soi
Ici, il faut jouir de sa jeunesse car la vieillesse est insupportable. On tremble de vieillir. On meurt sans enfant, parce que lon na pas eu le temps den faire, parce que la grossesse déforme le corps, parce que lon a choisi de privilégier sa carrière professionnelle, car on est une femme indépendante
Finir sa vie sans descendant, sans avoir connu le bonheur dêtre parents ? Impensable en Afrique où tout grand-parent est entouré de vingtaines denfants galopants dans toute la maison, où tout le monde est «frère». Doù la véritable richesse est la famille.
RIDES, MIROIR DE LA VIE
Pourquoi en Occident les vieux sont-ils aussi «gaga» devant leurs chérubins ? Peut-être parce que les enfants sont les seuls à les regarder sans crainte ni dégoût. Les seuls qui spontanément diront «Papy, cest bizarre tas des railles sur le front». Tandis que leurs parents, gênés, rétorqueront : «Tu manques de respect à ton grand père, cest une personne âgée et lon ne dit pas des railles mais des rides
»
Marguerite Duras, écrivain français, avait une vision magnifique des rides. Sur un visage, elles sont le souvenir, les peines et les joies dune vie. Un visage ridé est un être qui a joui, souffert, vécu. Chaque ride à une histoire, elle est gravée à jamais dans les sillons de la peau. Malheureusement en France, on fait tout pour effacer ces rides
Crème lissante, lifting, nourriture Bio comme pour oublier le temps qui passe. On refuse de se voir vieillir. On shabille comme une pin-up à 60 ans, on sort avec des petits jeunes pour se faire une cure de jouvence. On ne montre jamais sa carte didentité pour mieux mentir sur son âge. On participe même à des shows Tv anesthésiants de débilité, avilissants où des vieux se font relooker pour paraître plus jeunes. Le public de lémission ébahi, en extase devant limpossible miracle applaudit, alors la Mamy de 70 piges, liftée et anorexique, souffrant encore de sa dernière opération esthétique, fière de ses nouveaux seins de jeune fille ayant remplacé son ancienne poitrine tombante, jouissant de sa lutte contre le temps. Frénétique combat contre la décrépitude. Elle croit pouvoir contrôler éternellement les ravages du temps sur son corps.
Mais comment stopper linéluctable vieillesse ? On pense alors au terrible film Requiem for a dream. A cette femme seule, abandonnée par son fils, rêvant de mincir et de porter à nouveau la robe rouge de ses 20 ans, quitte à arrêter de salimenter et à mourir droguée par des coupes faim. Tragique société ou le dictat de la jeunesse rend fou et malheureux
Société de dégénérés effrayée, terrassée par un simple mot : vieillesse. Société matérialiste et athée oublieuse de valeur spirituelle et de liens familiaux. Société daccumulations et de jouissances factices offrant un éphémère bonheur.
Société où lon peut mourir entouré de plein de «choses» et de peu de gens, tandis quen Afrique il est plus courant de mourir sans toutes ces «choses» mais entourés de beaucoup damour. Comment préférez-vous mourir ? Seul, riche et lifté ? Nest-til pas plus rassurant de faire rimer vieillesse avec sagesse ?