Vie de Dakar: ecoutez ces murs qui vous parlent !

Publié le par Rénald Martre-Dabiran


.(Photo: Le Quotidien)

Fresques, graffiti, Set Setal : Dakar s’écrit sur ses murs…

 

A Dakar, coincé dans les embouteillages à l’intérieur d’un “clando” déglingué qui crache une épaisse fumée noire, sollicité par les «bana-bana» de toutes sortes, il n’y a qu’une chose à faire : prendre son mal en patience. On perd alors son regard sur la ville et ses murs décrépis… L’architecture, souvent rudimentaire, inspirée de la période coloniale, du règne du béton ou de l’ère de la débrouille n’offre rien de très exaltant au regard…Mais les murs, que l’on ne regarde plus à force de trop les voir, méritent une attention particulière. A cheval sur l’imagerie religieuse et populaire, les peintures du mouvement du «Set Setal» et la branche graphique du hip-hop, les murs de Dakar dépeignent les différents visages de la société sénégalaise.

 

Cheikh Amadou Bamba est là, partout, au détour d’une avenue, d’une ruelle ou d’une cantine, comme pour souligner l’importance de sa place au sein de la société. Au charbon ou à la peinture, son visage est omniprésent, comme une icône, une référence, un symbole de la foi, une fierté aussi. Dans de nombreux quartiers populaires, d’autres grandes figures de la société sénégalaises sont représentées : Cheikh Anta Diop, Léopold Sédar Senghor, le président Abdoulaye Wade…Des visages inconnus, des personnages de bandes dessinées ou des animaux écrivent une autre histoire. La récente histoire d’un gigantesque mouvement populaire : le «Set Setal», une action de salubrité publique et d’assainissement initiée par les populations et qui a fini par rencontrer l’adhésion des autorités.

 

La Jeunesse malsaine est passée par là

 

Ce grand mouvement d’initiative populaire, initié dans le début des années 90, fait suite au turbulent contexte politique de l’année 1988. La violence fait rage dans les meeting. L’annonce officielle des résultats de l’élection présidentielle fait scandale, l’opposition crie à la fraude électorale. La victoire du président Abdou Diouf est très mal vécue par la majorité de l’opinion publique sénégalaise. Le pays s’enflamme. La révolte menée par les étudiants prend de l’ampleur. Abdou Diouf annonce l’état de siège et conduit les principaux leaders de l’opposition sous les verrous. L’année 1988 est finalement décrétée année blanche dans les Universités, tant les troubles post-électoraux en ont perturbé le fonctionnement. Diouf, scandalisé par la violence de la réaction populaire, notamment à Thiès où il avait essuyé des projectiles lors d’un rassemblement politique, pointe du doigt “une jeunesse malsaine”, bouc émissaire évident d’une contestation nationale.

 

En 90, après le conflit sénégalo-mauritanien, les Sénégalais veulent repartir sur de nouvelles bases. Youssou Ndour en est le déclic. Il sort l’album Set, qui deviendra l’hymne du «Set Setal». Les associations de quartiers se multiplient et les jeunes décident spontanément de prendre leur quartier en main et d’améliorer leur cadre de vie. Le «Set Setal» débute par une grande politique de nettoyage des quartiers. Puis, il s’attaque à l’embellissement des quartiers. Les jeunes, les associations, les habitants des quartiers décident donc de décorer les murs, les troncs d’arbre, les cantines…

 

Dakar prend des couleurs et s’habille de vert, jaune, rouge. Cette initiative s’est atténuée avec le temps et aujourd’hui, les vestiges du «Set Setal» souffrent de leur ancienneté. Heureusement, la Coupe du Monde et les formidables exploits sénégalais ont redonné à la jeunesse l’envie de peindre leur soutien aux Lions. Ainsi, un peu partout, on peut lire des “Merci les Lions ! ” encourageants.

 

Fresques : Ces duos déroutants de Papisto

 

Au Sénégal, avec ou sans victoire, la tradition picturale est déjà une réalité. Elle est fortement ancrée dans la société et plusieurs artistes ont choisi le mur comme support privilégié. Parce que dans la rue, l’art est accessible à tous. Il devient populaire, au sens strict du mot. Il ravit les yeux et diffuse son message au plus grand nombre…

 

Papisto Boy, petit papy “ drealocksé ” de 52 ans, a fait du quartier de la plage de la Voile d’Or son domaine de prédilection. Il y peint depuis plus de 40 ans sa vision du monde : l’Afrique, la politique, la liberté et la musique sont célébrées dans ses fresques. Il déroule une histoire multiple. Une histoire humaine et désordonnée. L’histoire des erreurs, des utopies et des espoirs de ces quarante dernières années. Sur des centaines de mètres de murs, des personnages, peints à côté les uns des autres forment parfois des duos surprenants : le Che et Moussa Ngom, ou Clinton et Jimi Hendrix, Ben Laden et Bob Marley, Gandhi et El Hadj Diouf…Ce sont simplement des hommes, qui ont compté dans l’évolution du monde, quelle soit bonne ou mauvaise, et souvent des personnalités qui ont œuvré pour l’Afrique.

 

Papisto revendique l’Afrique. Son Afrique. Il peint Malcom X, Martin Luther King, L.S. Senghor, Nelson Mandela, Cheikh Anta Diop… Papisto est d’abord un artiste. Un idéaliste aussi. Papisto a choisi l’art libre. A douze ans il décide de quitter le domicile familial pour pêcher d’abord, puis peindre…Autodidacte, il commence à dessiner au charbon, et comme il se rend compte qu’il ne peut peindre que de décembre à juin, car la saison des pluies efface son travail, il se met à la peinture. Ensuite, il s’installe dans ce coin industriel de Dakar et perfectionne son travail dans la rue. A mi-chemin entre l’art pictural traditionnel et les fresques de graffiti, Papisto véhicule une grande réflexion sur la vie, l’amour, le travail, l’importance de la foi. La foi religieuse et puis la foi individuelle, en soi ou aux hommes, celle qui permet aux héros qu’il peint d’avoir accompli quelque chose de grand…

 

Au niveau national, Papisto s’est fait connaître par une campagne de sensibilisation contre le Sida de l’Ong Enda, puis par des clips. Positive Black Soul d’abord puis Cheikh Lô pour sa reprise de Let It Be des Beatles version wolof La rue ont aussi tourné leur clip devant les fresques de Papisto. Il souligne que jamais l’Etat ne l’a aidé, et qu’il ne doit rien à personne…Remarqué par des observateurs internationaux, conviés à participer à des grandes manifestations d’art au Centre culturel de Munich, en Allemagne, en Belgique ou à Los Angeles pour peindre dans le cadre d’une exposition sur les vies de Che Guevara et de Cheikh Amadou Bamba, Papisto dort pourtant sur la plage. Son rêve serait d’ouvrir une galerie. Mais sa condition d’artiste indépendant, et surtout ses minces revenus ne lui permettent guère. Papisto sait qu’un jour, on saura reconnaître son travail à sa juste valeur. Il le mérite assurément. Comme pour suspendre le temps, en attendant que ce jour arrive, il nous dit un poème :

 

«L’art limpide source de lumière. Fertilise les esprits et les âmes. Rassasie les cœurs et éduque le corps. Le pinceau traduit sa pensée. La peinture dans son essence. Définit la littérature, symbolise le social. Enfante la culture.»

 

Hip -Hop : Graffiti, la branche graphique

 

Dans un autre registre, il y a aussi le graffiti. Pour les non initiés, le graffiti est la branche graphique du Hip-Hop. Ce mouvement a été initié dans les années 70 à New York. Aujourd’hui, il est développé presque partout dans le monde. Ces quatre disciplines phares sont : le rap, le breakdance, le djing, (Ndlr : le fait de créer de la musique une platine vinyle et de mixer des sons préexistants pour en créer de nouveaux), et le graffiti.

 

Il s’agit là de peindre son nom ou le nom de son groupe sur le plus de surface possible, afin d’être représenté dans sa ville et d’y imposer visuellement sa marque. Toutefois, signer son nom partout ne suffit pas. Généralement les graffeurs se trouvent un surnom, un «blaze» , à peindre et en travaillant les lettres au maximum, pour accomplir une performance artistique et graphique. De par ses codes et ses règles, le graffiti est souvent mal compris de la population non initiée : on peine souvent à déchiffrer les inscriptions d’un “ graff’ ” et donc à en comprendre le sens. Pourtant, il s’agit là souvent d’une réelle performance artistique : il faut d’abord travailler l’esquisse de ses lettres sur papier, puis choisir les couleurs appropriées, et, enfin et surtout, réussir à utiliser la bombe de peinture à bon escient.

 

Le graffiti s’avère surtout être un signe d’appartenance à une “ famille ” de graffeurs, un groupe qui peint ensemble, à un quartier, à une ville ou plus largement à un état d’esprit : le Hip-Hop. A Dakar, les bombes ont été initialement utilisées par les partis politiques lors des élections, pour faire passer les idées fortes de tel ou tel candidat… Actuellement le long de la corniche, on peut lire beaucoup des inscriptions d’actualité, tagguées à la bombe verte : “Saddam tue des innocents ”, “ Sadam n’est pas un vrai musulman ”.

 

A part la bombe, il n’y a aucun rapport entre ces inscriptions et les graffiti dont nous parlons. A Dakar, on observe plusieurs groupes de graffeurs : le jeune Docta et son groupe Doxa Dem Squad, les Wageble et leur équipe Dippi Deup, les Misérables, Matador, etc. Si on voit relativement peu de graffiti dans Dakar, c’est que tous sont confrontés au même problème : le prix des bombes. Une bombe de peinture coûte entre 2 500 et 5 000 francs Cfa. Et il faut savoir qu’une “ pièce ” nécessite au moins quatre couleurs différentes. A faire le calcul, l’addition grimpe malheureusement un peu trop haut pour nos jeunes graffeurs. Ils doivent économiser de longues semaines avant de pouvoir s’y remettre à nouveau.

 

Seul Docta réussit à vivre de son art et exécute des commandes principalement pour des cassettes de rap. Dans tous les pays occidentaux, le graffiti, commence à rentrer dans les mœurs et faire partie intégrante de la ville, à être utilisé dans la publicité, etc. Pourtant le graffiti “ sauvage ”, c’est à dire purement urbain ou “ vandale ”1 est sévèrement réprimé par les autorités à coups de peines de prison, d’amendes ou d’heures de travaux d’intérêt général. A Dakar, le graffiti s’inscrit dans la lignée du Set Setal et ne pose pas de problème aux riverains qui y voient plutôt une bonne chose. “ Les murs sont si moches, qu’ avec un peu de couleur, ça change ”, nous glisse spontanément sur Cheikh Anta Diop une dame devant un graffiti des Misérables…

 

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