Vie de Dakar: ecoutez ces murs qui vous parlent !
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Fresques, graffiti, Set Setal : Dakar sécrit sur ses murs
A Dakar, coincé dans les embouteillages à lintérieur dun clando déglingué qui crache une épaisse fumée noire, sollicité par les «bana-bana» de toutes sortes, il ny a quune chose à faire : prendre son mal en patience. On perd alors son regard sur la ville et ses murs décrépis
Larchitecture, souvent rudimentaire, inspirée de la période coloniale, du règne du béton ou de lère de la débrouille noffre rien de très exaltant au regard
Mais les murs, que lon ne regarde plus à force de trop les voir, méritent une attention particulière. A cheval sur limagerie religieuse et populaire, les peintures du mouvement du «Set Setal» et la branche graphique du hip-hop, les murs de Dakar dépeignent les différents visages de la société sénégalaise.
Cheikh Amadou Bamba est là, partout, au détour dune avenue, dune ruelle ou dune cantine, comme pour souligner limportance de sa place au sein de la société. Au charbon ou à la peinture, son visage est omniprésent, comme une icône, une référence, un symbole de la foi, une fierté aussi. Dans de nombreux quartiers populaires, dautres grandes figures de la société sénégalaises sont représentées : Cheikh Anta Diop, Léopold Sédar Senghor, le président Abdoulaye Wade
Des visages inconnus, des personnages de bandes dessinées ou des animaux écrivent une autre histoire. La récente histoire dun gigantesque mouvement populaire : le «Set Setal», une action de salubrité publique et dassainissement initiée par les populations et qui a fini par rencontrer ladhésion des autorités.
La Jeunesse malsaine est passée par là
Ce grand mouvement dinitiative populaire, initié dans le début des années 90, fait suite au turbulent contexte politique de lannée 1988. La violence fait rage dans les meeting. Lannonce officielle des résultats de lélection présidentielle fait scandale, lopposition crie à la fraude électorale. La victoire du président Abdou Diouf est très mal vécue par la majorité de lopinion publique sénégalaise. Le pays senflamme. La révolte menée par les étudiants prend de lampleur. Abdou Diouf annonce létat de siège et conduit les principaux leaders de lopposition sous les verrous. Lannée 1988 est finalement décrétée année blanche dans les Universités, tant les troubles post-électoraux en ont perturbé le fonctionnement. Diouf, scandalisé par la violence de la réaction populaire, notamment à Thiès où il avait essuyé des projectiles lors dun rassemblement politique, pointe du doigt une jeunesse malsaine, bouc émissaire évident dune contestation nationale.
En 90, après le conflit sénégalo-mauritanien, les Sénégalais veulent repartir sur de nouvelles bases. Youssou Ndour en est le déclic. Il sort lalbum Set, qui deviendra lhymne du «Set Setal». Les associations de quartiers se multiplient et les jeunes décident spontanément de prendre leur quartier en main et daméliorer leur cadre de vie. Le «Set Setal» débute par une grande politique de nettoyage des quartiers. Puis, il sattaque à lembellissement des quartiers. Les jeunes, les associations, les habitants des quartiers décident donc de décorer les murs, les troncs darbre, les cantines
Dakar prend des couleurs et shabille de vert, jaune, rouge. Cette initiative sest atténuée avec le temps et aujourdhui, les vestiges du «Set Setal» souffrent de leur ancienneté. Heureusement, la Coupe du Monde et les formidables exploits sénégalais ont redonné à la jeunesse lenvie de peindre leur soutien aux Lions. Ainsi, un peu partout, on peut lire des Merci les Lions ! encourageants.
Fresques : Ces duos déroutants de Papisto
Au Sénégal, avec ou sans victoire, la tradition picturale est déjà une réalité. Elle est fortement ancrée dans la société et plusieurs artistes ont choisi le mur comme support privilégié. Parce que dans la rue, lart est accessible à tous. Il devient populaire, au sens strict du mot. Il ravit les yeux et diffuse son message au plus grand nombre
Papisto Boy, petit papy drealocksé de 52 ans, a fait du quartier de la plage de la Voile dOr son domaine de prédilection. Il y peint depuis plus de 40 ans sa vision du monde : lAfrique, la politique, la liberté et la musique sont célébrées dans ses fresques. Il déroule une histoire multiple. Une histoire humaine et désordonnée. Lhistoire des erreurs, des utopies et des espoirs de ces quarante dernières années. Sur des centaines de mètres de murs, des personnages, peints à côté les uns des autres forment parfois des duos surprenants : le Che et Moussa Ngom, ou Clinton et Jimi Hendrix, Ben Laden et Bob Marley, Gandhi et El Hadj Diouf
Ce sont simplement des hommes, qui ont compté dans lévolution du monde, quelle soit bonne ou mauvaise, et souvent des personnalités qui ont uvré pour lAfrique.
Papisto revendique lAfrique. Son Afrique. Il peint Malcom X, Martin Luther King, L.S. Senghor, Nelson Mandela, Cheikh Anta Diop
Papisto est dabord un artiste. Un idéaliste aussi. Papisto a choisi lart libre. A douze ans il décide de quitter le domicile familial pour pêcher dabord, puis peindre
Autodidacte, il commence à dessiner au charbon, et comme il se rend compte quil ne peut peindre que de décembre à juin, car la saison des pluies efface son travail, il se met à la peinture. Ensuite, il sinstalle dans ce coin industriel de Dakar et perfectionne son travail dans la rue. A mi-chemin entre lart pictural traditionnel et les fresques de graffiti, Papisto véhicule une grande réflexion sur la vie, lamour, le travail, limportance de la foi. La foi religieuse et puis la foi individuelle, en soi ou aux hommes, celle qui permet aux héros quil peint davoir accompli quelque chose de grand
Au niveau national, Papisto sest fait connaître par une campagne de sensibilisation contre le Sida de lOng Enda, puis par des clips. Positive Black Soul dabord puis Cheikh Lô pour sa reprise de Let It Be des Beatles version wolof La rue ont aussi tourné leur clip devant les fresques de Papisto. Il souligne que jamais lEtat ne la aidé, et quil ne doit rien à personne
Remarqué par des observateurs internationaux, conviés à participer à des grandes manifestations dart au Centre culturel de Munich, en Allemagne, en Belgique ou à Los Angeles pour peindre dans le cadre dune exposition sur les vies de Che Guevara et de Cheikh Amadou Bamba, Papisto dort pourtant sur la plage. Son rêve serait douvrir une galerie. Mais sa condition dartiste indépendant, et surtout ses minces revenus ne lui permettent guère. Papisto sait quun jour, on saura reconnaître son travail à sa juste valeur. Il le mérite assurément. Comme pour suspendre le temps, en attendant que ce jour arrive, il nous dit un poème :
«Lart limpide source de lumière. Fertilise les esprits et les âmes. Rassasie les curs et éduque le corps. Le pinceau traduit sa pensée. La peinture dans son essence. Définit la littérature, symbolise le social. Enfante la culture.»
Hip -Hop : Graffiti, la branche graphique
Dans un autre registre, il y a aussi le graffiti. Pour les non initiés, le graffiti est la branche graphique du Hip-Hop. Ce mouvement a été initié dans les années 70 à New York. Aujourdhui, il est développé presque partout dans le monde. Ces quatre disciplines phares sont : le rap, le breakdance, le djing, (Ndlr : le fait de créer de la musique une platine vinyle et de mixer des sons préexistants pour en créer de nouveaux), et le graffiti.
Il sagit là de peindre son nom ou le nom de son groupe sur le plus de surface possible, afin dêtre représenté dans sa ville et dy imposer visuellement sa marque. Toutefois, signer son nom partout ne suffit pas. Généralement les graffeurs se trouvent un surnom, un «blaze» , à peindre et en travaillant les lettres au maximum, pour accomplir une performance artistique et graphique. De par ses codes et ses règles, le graffiti est souvent mal compris de la population non initiée : on peine souvent à déchiffrer les inscriptions dun graff et donc à en comprendre le sens. Pourtant, il sagit là souvent dune réelle performance artistique : il faut dabord travailler lesquisse de ses lettres sur papier, puis choisir les couleurs appropriées, et, enfin et surtout, réussir à utiliser la bombe de peinture à bon escient.
Le graffiti savère surtout être un signe dappartenance à une famille de graffeurs, un groupe qui peint ensemble, à un quartier, à une ville ou plus largement à un état desprit : le Hip-Hop. A Dakar, les bombes ont été initialement utilisées par les partis politiques lors des élections, pour faire passer les idées fortes de tel ou tel candidat
Actuellement le long de la corniche, on peut lire beaucoup des inscriptions dactualité, tagguées à la bombe verte : Saddam tue des innocents , Sadam nest pas un vrai musulman .
A part la bombe, il ny a aucun rapport entre ces inscriptions et les graffiti dont nous parlons. A Dakar, on observe plusieurs groupes de graffeurs : le jeune Docta et son groupe Doxa Dem Squad, les Wageble et leur équipe Dippi Deup, les Misérables, Matador, etc. Si on voit relativement peu de graffiti dans Dakar, cest que tous sont confrontés au même problème : le prix des bombes. Une bombe de peinture coûte entre 2 500 et 5 000 francs Cfa. Et il faut savoir quune pièce nécessite au moins quatre couleurs différentes. A faire le calcul, laddition grimpe malheureusement un peu trop haut pour nos jeunes graffeurs. Ils doivent économiser de longues semaines avant de pouvoir sy remettre à nouveau.
Seul Docta réussit à vivre de son art et exécute des commandes principalement pour des cassettes de rap. Dans tous les pays occidentaux, le graffiti, commence à rentrer dans les murs et faire partie intégrante de la ville, à être utilisé dans la publicité, etc. Pourtant le graffiti sauvage , cest à dire purement urbain ou vandale 1 est sévèrement réprimé par les autorités à coups de peines de prison, damendes ou dheures de travaux dintérêt général. A Dakar, le graffiti sinscrit dans la lignée du Set Setal et ne pose pas de problème aux riverains qui y voient plutôt une bonne chose. Les murs sont si moches, qu avec un peu de couleur, ça change , nous glisse spontanément sur Cheikh Anta Diop une dame devant un graffiti des Misérables