Mythe ou réalité ? : LA TERANGA sous le regard extérieur

Publié le par Rénald Martre-Dabiran

Arrivées au Sénégal depuis quelques mois, Elodie et Diane, nos deux toubabs se sont confrontées à cette illustre mais mystérieuse téranga. Si sa définition est claire : hospitalité en wolof, son caractère n’en reste pas moins paradoxal. Mythe empoussiéré ou délicieuse réalité? Jamais de divorce total.

 

Les principes de cordialité et de convivialité, puisés dans le patrimoine traditionnel sénégalais, font le cachet du «pays de la téranga». Malheureusement, ils sont parfois mis à mal par des attitudes qui créent des situations de malaise pour les étrangers. Ici, le toubab peut aussi bien être accueilli comme un membre de la famille qu’être arnaqué comme un vulgaire «toubab porte-monnaie». Notre début de séjour peut témoigner de ce véritable fossé entre deux genres d’êtres humains. D’un côté, ceux qui se servent de la téranga et vous dupent. Et de l’autre côté, ceux qui sont l’essence même de ce mot, l’incarnation de l’hospitalité. Au début du séjour, nous avons loué une chambre sur Internet d’un Sénégalais vivant en France… Arrivées sur place, la description du lieu était mensongère : matelas pourri, cafards, mouton bêlant toute la nuit, portes sans verrous, aucun repas comme prévu… Escroquées, nous ne sommes restées que 15 jours et avons payé 400 000 francs Cfa !!! Heureusement, nous avons ensuite été hébergées gentiment par une famille sénégalaise qui nous a fait découvrir les joies de la téranga. Repas en famille autour des délicieux thiéboudiène, yassa poulet et mafé, discussions animées en Wolof, marchandage dans les marchés, préparation du ataya bu sous les étoiles, achat de tissus pour se faire des boubous chez le couturier… bref tous ces petits rien, ces moments de plaisir simples vous font profondément aimer les gens ici.

 

Après l’enfer, le paradis. Vision peut être simpliste et manichéenne, mais pourtant bien réelle.

 

S’OUVRIR A LA TERANGA

 

Règle primordiale pour apprécier véritablement la vie ici : prendre le rythme africain. C’est en prenant son temps que l’on augmente ses chances de découvrir ce qu’il y a de mieux. Ne pas s’arrêter aux déceptions des premières rencontres. Creuser, donner sa chance à la téranga. Il faut savoir écouter la téranga. Il faut aussi la mériter. Elle ne viendra pas forcément à vous, si vous n’êtes pas ouvert et prêt à l’entendre. Au marché par exemple, si l’on est renfermé et que l’on se sent agressé, il n’y aura aucun plaisir à marchander… Il faut s’asseoir, parler, oublier qu’il y a le moindre rapport de force ou de supériorité entre l’acheteur et le vendeur. Les histoires et rencontres viennent alors à vous. Derrière ce vendeur, se cache un petit talibé. Il est fier de travailler ici, fier de son stand. Il vous raconte que les coups du marabout et la mendicité lui ont appris l’humilité et qu’aujourd’hui, il est un homme. Son stand, ses mini ndiaga ndiaye et ses statuettes n’ont alors plus le même visage.

 

Plus loin, vous plaisantez avec un autre vendeur, vous commencez à jouer du djembé avec lui, le cercle s’agrandit, et les histoires avec lui. La nuit tombe, les stands ferment. Il vous ramène gentiment chez lui, pour vous présenter sa femme et partager son repas. Le lendemain, vous irez ensemble le voir peindre et sculpter. L’achat de ses tableaux et statues n’aura donc plus la même valeur. Derrière, une histoire, un souvenir. Le vendeur agressif et collant n’était en fait, comme tant d’autres, qu’un être généreux et accueillant.

 

Lors de nos visites à Saint Louis, nous avons été accaparées par des dizaines de guides narquois et collants. Nous sommes en visite près de la Langue de Barbarie, saoulées par cette téranga. Un garçon s’est approché de nous : des heures de partage et de discussion. Pendant deux jours, il nous fait découvrir, avec passion, sa ville, sa famille, ses amis, ses lieux les plus secrets, gratuitement juste pour que nous apprécions son pays et ses habitants… Je me rappelle aussi d’un week-end à Toubab Dialao. Nous prenions des cours de danse africaine et de djembé assez onéreux… Sympathisant de plus en plus avec les professeurs, nous finissions par manger chez eux et passer des nuits à jouer du djembé les pieds dans le sable devant le flux et le reflux langoureux de la mer et à apprendre le Mbalax en échange de cours de danse classique et de salsa… Beaucoup plus sympa qu’un cours à 10 000 francs Cfa, l’heure. Oubliant un instant le prof et l’élève, la toubab et le Sénégalais, l’échange étant tellement plus enrichissant.…

 

LE SANDWICH SE ROMPT…

 

Ce qui est frappant ici, c’est le partage du repas. Tout le monde mange dans un même plat, et invite qui veut. Quelle convivialité étonnante et plaisante. Il suffit de discuter quelques instants avec quelqu’un pour être aussitôt convié au sein de sa famille. De Malikounda à Pikine, de Saint-Louis à Dakar. Un jour, au restaurant, un homme nous a même proposé de partager son yassa poulet en attendant notre plat. Ici, on offre tout ce que l’on a. On rompt son chawarma et son sandwich au foie, on partage son bissap, on boit son ataya dans un même verre. C’est très étonnant pour un toubab qui mange quotidiennement à table, seul devant sa propre assiette avec son verre et ses couverts.

 

La téranga, c’est une vie de partage. Une vie en communauté. Les liens entre les membres d’une même famille ou famille agrandie sont très forts. En France, il n’est pas rare de se réunir une fois par an, à Noël, et de ne croiser ses cousins qu’aux mariages et aux enterrements. Ici, tout le monde vit ensemble dans une même maison ou à côté. Les enfants s’occupent des parents qui ne veulent eux-même pas voir leur progéniture partir, même si celle-ci décide de s’unir à une autre famille. Les enfants passent de bras en bras et ont plusieurs mères, de nombreux cousins et chacun est «frère»…

 

Vivre au sein d’une famille sénégalaise est un vrai bonheur. La promiscuité se fait si rapidement, leur façon de mettre à l’aise et de te considérer tel un membre de la famille semble irréelle. Quel don de soi, quelle générosité, quel dédain pour ce qui est matériel. Toujours accueilli à bras ouverts, nourri et logé avec amour. Je me rappelle d’une famille de Mbour qui nous avait achetées deux poulets, alors qu’ils n’avaient pas les moyens de manger eux-même de la viande. Pourtant, ils nous découpaient les meilleurs morceaux, désireux de nous offrir un bon repas pour nous faire honneur. Quelle délicatesse, quelle belle intention. Recevoir tant de choses de celui qui n’a rien. En France, on gaspille, on possède tout à l’excès, on accumule par soucis de richesses, égoïstement, pour soi, sans partager, sans réaliser la valeur des choses. La richesse rend souvent avide et cupide. Plus on possède, plus on a envie de posséder. Au Sénégal, il n’est pas rare de rencontrer des familles totalement démunies, vivant dans des conditions très précaires et s’occupant malgré tout d’orphelins, d’enfants de rues. Ils partagent le peu qu’ils ont.

 

Les mains s’accumulent autour du grand plat de yassa, les gens peuvent dormir à dix dans une même chambre. Au Sénégal, selon les règles du Coran, on se doit d’être généreux. L’une des cinq règles impose de faire l’aumône quotidiennement. Même si l’on est pas aisé, on donne au moins une pièce ou un morceau de sucre au petit talibé ou à l’aveugle de sa rue.

 

LES «RESTES» DE LA TERANGA

 

Pour certains toubabs, «gnacks» et autres étrangers, ce mot n’est qu’un «masque rassurant» derrière lequel, se cachent les Sénégalais. Un «mot apaisant» posé là par hasard pour attirer les touristes et accroître médiatiquement le phénomène «surfait» d’une terre d’accueil. Les Sénégalais eux-mêmes semblent vouloir qu’on leur confirme la véracité de ce terme, la force de ce mot. Demandant sans cesse : «Alors le Sénégal, c’est comment ?», ou bien, sûrs d’eux : «Tu reviendras de toutes les façons !» Toujours étonnés : «Non, c’est ta première fois au Sénégal ?» Comme si ce pays était le centre du monde, le passage obligé, incontournable. Attention à ne pas critiquer ni hésiter quand on vous accoste dans la rue pour vous demander comment vous trouvez le Sénégal, le chauvinisme exacerbé de certains pourrait vous mettre mal à l’aise. Ceux qui utilisent le concept de téranga à tord et à travers sont souvent les moins enclin à vous le faire découvrir. Si vous ne vous arrêtez pas dans un stand «pour le plaisir des yeux» ou que vous refusez de répondre aux harcèlements de l’énième vendeur ambulant de parfums, il n’est pas rare d’entendre : «Mais, on est pas en guerre, c’est la téranga ici ! » COMMENT LAISSER LA TERANGA DEVOILER SES RICHESSES ?

 

Pourtant la téranga n’est pas morte… Mais, c’est plongée au cœur de la famille sénégalaise qu’elle se dévoile peu à peu. Plus facilement décelable dans l’intimité des maisons donc que dans la cohue de la fourmillante et agressive capitale. De nombreux touristes ont fui la capitale, n’ayant pas eu le privilège d’être accueilli au sein des familles. Il est donc aisé pour un touriste toubab de passer à côté de la téranga. Dans ce cas, celui-ci ne retiendra du pays que les guides agressifs, les taximen arnaqueurs, les mendiants insistants, les collants antiquaires, et le danger des rues chaotiques et polluées. Il ne se sentira à l’abri que dans son car climatisé ou sa confortable chambre d’hôtel.

 

Il est facile de passer à côté d’un pays, de repartir déçu… de se sentir bafoué par le mythe de la téranga. Alors que celui-ci est bien vivant, si près, pour qui sait regarder, attendre, oublier ses valeurs et se mettre à nu devant l’autre. La téranga ne s’ouvre pas à qui ne sait pas prendre son temps. C’est un échange, une entente, un dépouillement de ce que l’on a cru être une référence absolue et qui était jusqu’à présent notre culture.

 

Apprendre à désapprendre et à comprendre que la différence peut devenir un jour notre propre référence. C’est en oubliant ses préjugés, sa crainte de se faire arnaquer ou agresser, et en se fondant dans l’inconnu, en écoutant les petites histoires des uns et les véritables drames des autres que l’on apprend à relativiser sa vie et ses soucis et que la téranga dévoile alors toutes ses richesses.

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