Mythe ou réalité ? : LA TERANGA sous le regard extérieur
Arrivées au Sénégal depuis quelques mois, Elodie et Diane, nos deux toubabs se sont confrontées à cette illustre mais mystérieuse téranga. Si sa définition est claire : hospitalité en wolof, son caractère nen reste pas moins paradoxal. Mythe empoussiéré ou délicieuse réalité? Jamais de divorce total.
Les principes de cordialité et de convivialité, puisés dans le patrimoine traditionnel sénégalais, font le cachet du «pays de la téranga». Malheureusement, ils sont parfois mis à mal par des attitudes qui créent des situations de malaise pour les étrangers. Ici, le toubab peut aussi bien être accueilli comme un membre de la famille quêtre arnaqué comme un vulgaire «toubab porte-monnaie». Notre début de séjour peut témoigner de ce véritable fossé entre deux genres dêtres humains. Dun côté, ceux qui se servent de la téranga et vous dupent. Et de lautre côté, ceux qui sont lessence même de ce mot, lincarnation de lhospitalité. Au début du séjour, nous avons loué une chambre sur Internet dun Sénégalais vivant en France
Arrivées sur place, la description du lieu était mensongère : matelas pourri, cafards, mouton bêlant toute la nuit, portes sans verrous, aucun repas comme prévu
Escroquées, nous ne sommes restées que 15 jours et avons payé 400 000 francs Cfa !!! Heureusement, nous avons ensuite été hébergées gentiment par une famille sénégalaise qui nous a fait découvrir les joies de la téranga. Repas en famille autour des délicieux thiéboudiène, yassa poulet et mafé, discussions animées en Wolof, marchandage dans les marchés, préparation du ataya bu sous les étoiles, achat de tissus pour se faire des boubous chez le couturier
bref tous ces petits rien, ces moments de plaisir simples vous font profondément aimer les gens ici.
Après lenfer, le paradis. Vision peut être simpliste et manichéenne, mais pourtant bien réelle.
SOUVRIR A LA TERANGA
Règle primordiale pour apprécier véritablement la vie ici : prendre le rythme africain. Cest en prenant son temps que lon augmente ses chances de découvrir ce quil y a de mieux. Ne pas sarrêter aux déceptions des premières rencontres. Creuser, donner sa chance à la téranga. Il faut savoir écouter la téranga. Il faut aussi la mériter. Elle ne viendra pas forcément à vous, si vous nêtes pas ouvert et prêt à lentendre. Au marché par exemple, si lon est renfermé et que lon se sent agressé, il ny aura aucun plaisir à marchander
Il faut sasseoir, parler, oublier quil y a le moindre rapport de force ou de supériorité entre lacheteur et le vendeur. Les histoires et rencontres viennent alors à vous. Derrière ce vendeur, se cache un petit talibé. Il est fier de travailler ici, fier de son stand. Il vous raconte que les coups du marabout et la mendicité lui ont appris lhumilité et quaujourdhui, il est un homme. Son stand, ses mini ndiaga ndiaye et ses statuettes nont alors plus le même visage.
Plus loin, vous plaisantez avec un autre vendeur, vous commencez à jouer du djembé avec lui, le cercle sagrandit, et les histoires avec lui. La nuit tombe, les stands ferment. Il vous ramène gentiment chez lui, pour vous présenter sa femme et partager son repas. Le lendemain, vous irez ensemble le voir peindre et sculpter. Lachat de ses tableaux et statues naura donc plus la même valeur. Derrière, une histoire, un souvenir. Le vendeur agressif et collant nétait en fait, comme tant dautres, quun être généreux et accueillant.
Lors de nos visites à Saint Louis, nous avons été accaparées par des dizaines de guides narquois et collants. Nous sommes en visite près de la Langue de Barbarie, saoulées par cette téranga. Un garçon sest approché de nous : des heures de partage et de discussion. Pendant deux jours, il nous fait découvrir, avec passion, sa ville, sa famille, ses amis, ses lieux les plus secrets, gratuitement juste pour que nous apprécions son pays et ses habitants
Je me rappelle aussi dun week-end à Toubab Dialao. Nous prenions des cours de danse africaine et de djembé assez onéreux
Sympathisant de plus en plus avec les professeurs, nous finissions par manger chez eux et passer des nuits à jouer du djembé les pieds dans le sable devant le flux et le reflux langoureux de la mer et à apprendre le Mbalax en échange de cours de danse classique et de salsa
Beaucoup plus sympa quun cours à 10 000 francs Cfa, lheure. Oubliant un instant le prof et lélève, la toubab et le Sénégalais, léchange étant tellement plus enrichissant.
LE SANDWICH SE ROMPT
Ce qui est frappant ici, cest le partage du repas. Tout le monde mange dans un même plat, et invite qui veut. Quelle convivialité étonnante et plaisante. Il suffit de discuter quelques instants avec quelquun pour être aussitôt convié au sein de sa famille. De Malikounda à Pikine, de Saint-Louis à Dakar. Un jour, au restaurant, un homme nous a même proposé de partager son yassa poulet en attendant notre plat. Ici, on offre tout ce que lon a. On rompt son chawarma et son sandwich au foie, on partage son bissap, on boit son ataya dans un même verre. Cest très étonnant pour un toubab qui mange quotidiennement à table, seul devant sa propre assiette avec son verre et ses couverts.
La téranga, cest une vie de partage. Une vie en communauté. Les liens entre les membres dune même famille ou famille agrandie sont très forts. En France, il nest pas rare de se réunir une fois par an, à Noël, et de ne croiser ses cousins quaux mariages et aux enterrements. Ici, tout le monde vit ensemble dans une même maison ou à côté. Les enfants soccupent des parents qui ne veulent eux-même pas voir leur progéniture partir, même si celle-ci décide de sunir à une autre famille. Les enfants passent de bras en bras et ont plusieurs mères, de nombreux cousins et chacun est «frère»
Vivre au sein dune famille sénégalaise est un vrai bonheur. La promiscuité se fait si rapidement, leur façon de mettre à laise et de te considérer tel un membre de la famille semble irréelle. Quel don de soi, quelle générosité, quel dédain pour ce qui est matériel. Toujours accueilli à bras ouverts, nourri et logé avec amour. Je me rappelle dune famille de Mbour qui nous avait achetées deux poulets, alors quils navaient pas les moyens de manger eux-même de la viande. Pourtant, ils nous découpaient les meilleurs morceaux, désireux de nous offrir un bon repas pour nous faire honneur. Quelle délicatesse, quelle belle intention. Recevoir tant de choses de celui qui na rien. En France, on gaspille, on possède tout à lexcès, on accumule par soucis de richesses, égoïstement, pour soi, sans partager, sans réaliser la valeur des choses. La richesse rend souvent avide et cupide. Plus on possède, plus on a envie de posséder. Au Sénégal, il nest pas rare de rencontrer des familles totalement démunies, vivant dans des conditions très précaires et soccupant malgré tout dorphelins, denfants de rues. Ils partagent le peu quils ont.
Les mains saccumulent autour du grand plat de yassa, les gens peuvent dormir à dix dans une même chambre. Au Sénégal, selon les règles du Coran, on se doit dêtre généreux. Lune des cinq règles impose de faire laumône quotidiennement. Même si lon est pas aisé, on donne au moins une pièce ou un morceau de sucre au petit talibé ou à laveugle de sa rue.
LES «RESTES» DE LA TERANGA
Pour certains toubabs, «gnacks» et autres étrangers, ce mot nest quun «masque rassurant» derrière lequel, se cachent les Sénégalais. Un «mot apaisant» posé là par hasard pour attirer les touristes et accroître médiatiquement le phénomène «surfait» dune terre daccueil. Les Sénégalais eux-mêmes semblent vouloir quon leur confirme la véracité de ce terme, la force de ce mot. Demandant sans cesse : «Alors le Sénégal, cest comment ?», ou bien, sûrs deux : «Tu reviendras de toutes les façons !» Toujours étonnés : «Non, cest ta première fois au Sénégal ?» Comme si ce pays était le centre du monde, le passage obligé, incontournable. Attention à ne pas critiquer ni hésiter quand on vous accoste dans la rue pour vous demander comment vous trouvez le Sénégal, le chauvinisme exacerbé de certains pourrait vous mettre mal à laise. Ceux qui utilisent le concept de téranga à tord et à travers sont souvent les moins enclin à vous le faire découvrir. Si vous ne vous arrêtez pas dans un stand «pour le plaisir des yeux» ou que vous refusez de répondre aux harcèlements de lénième vendeur ambulant de parfums, il nest pas rare dentendre : «Mais, on est pas en guerre, cest la téranga ici ! » COMMENT LAISSER LA TERANGA DEVOILER SES RICHESSES ?
Pourtant la téranga nest pas morte
Mais, cest plongée au cur de la famille sénégalaise quelle se dévoile peu à peu. Plus facilement décelable dans lintimité des maisons donc que dans la cohue de la fourmillante et agressive capitale. De nombreux touristes ont fui la capitale, nayant pas eu le privilège dêtre accueilli au sein des familles. Il est donc aisé pour un touriste toubab de passer à côté de la téranga. Dans ce cas, celui-ci ne retiendra du pays que les guides agressifs, les taximen arnaqueurs, les mendiants insistants, les collants antiquaires, et le danger des rues chaotiques et polluées. Il ne se sentira à labri que dans son car climatisé ou sa confortable chambre dhôtel.
Il est facile de passer à côté dun pays, de repartir déçu
de se sentir bafoué par le mythe de la téranga. Alors que celui-ci est bien vivant, si près, pour qui sait regarder, attendre, oublier ses valeurs et se mettre à nu devant lautre. La téranga ne souvre pas à qui ne sait pas prendre son temps. Cest un échange, une entente, un dépouillement de ce que lon a cru être une référence absolue et qui était jusquà présent notre culture.
Apprendre à désapprendre et à comprendre que la différence peut devenir un jour notre propre référence. Cest en oubliant ses préjugés, sa crainte de se faire arnaquer ou agresser, et en se fondant dans linconnu, en écoutant les petites histoires des uns et les véritables drames des autres que lon apprend à relativiser sa vie et ses soucis et que la téranga dévoile alors toutes ses richesses.